La lumière qui perce à travers le plafond de verre n’éclaire plus personne dans l’ancienne usine Ford d’Highland Park à Detroit. Aujourd’hui, c’est un entrepôt. Il y a 100 ans, y naissait le travail à la chaîne qui, outre l’automobile, a transformé la société américaine.
Et son héritage perdure aujourd’hui: des céréales aux cercueils, rares sont les industries à ne pas s’être converties au travail à la chaîne.
« Cela a eu un impact énorme. Énorme », déclare à l’AFP Stephen Burnett, professeur à l’Université Northwestern.
Grâce au travail à la chaîne, Ford a fait passer le temps de fabrication de la Ford Modèle T de 12 heures et demi à 93 minutes.
Mais, de son propre aveu, Henry Ford n’a rien inventé. Il n’a fait qu’adapter une méthode de travail déjà en vigueur dans les abattoirs de Chicago et Cincinnati.
Le 7 octobre 1913, ses ingénieurs mettaient en place la première ligne de montage, encore grossière, qu’empruntait la Modèle T, tirée par un treuil le long d’une corde dans l’usine flambant neuve d’Highland Park. Pour la première fois, les 140 ouvriers impliqués dans la tâche n’avaient plus à venir à la voiture. La voiture « venait » à eux, prenant forme au fur et à mesure qu’elle progressait le long de la ligne.
« Henry Ford disait: +si je peux faire économiser 50 pas par jour à mes ouvriers, à la fin de l’année, j’aurai économisé plusieurs kilomètres+ », explique à l’AFP Bob Kreipke, l’historien maison de Ford.
Avec le lancement de sa Modèle T, disponible dans « toutes les couleurs pourvu que ce soit en noir », le magnat de l’automobile avait déjà substantiellement réduit les coûts grâce à la rationalisation de la production. Mais le travail à la chaîne lui permit d’encore réduire les frais et d’atteindre le volume de production –colossal– qu’il visait.
1.000 voitures par jour
« Quand il a commencé, (Ford) produisait 100 voitures par jour, puis il est monté à 1.000 unités. C’est presque le même volume qu’une usine contemporaine », note Bob Kreipke.
En 1914, les 13.000 ouvriers de Ford produisirent environ 300.000 voitures, soit bien plus que ses 299 concurrents et leurs plus de 66.000 réunis.
Mais, en rationalisant sa chaîne de montage, Ford pouvait se passer d’ouvriers spécialisés et engager des employés peu qualifiés.
Le travail devenant répétitif, voire monotone, la rotation du personnel connut une ascension vertigineuse. Pour limiter les goulots d’étranglement et maintenir la cadence sur sa ligne de montage, Ford décida de doubler le salaire minimum.
Et, outre une paie de cinq dollars par jour, les employés virent la mise en place de la semaine de cinq jours. Ford pariait que ce pécule supplémentaire permettrait à ses ouvriers de s’offrir une voiture et qu’ils auraient, grâce à cette nouvelle journée de repos, tout le loisir de l’utiliser.
D’autant que le travail à la chaîne permit au constructeur de faire passer le prix de la Modèle T de 850 à 260 dollars.
Si le concept de travail à la chaîne n’a pas évolué en 100 ans, le processus de production a vu l’avènement de la machine. Aujourd’hui, 500 personnes travaillent à la chaîne dans l’usine Ford du Michigan d’où sortent chaque jour plusieurs centaines de Focus et de C-Max.
Une myriade d’ordinateurs accompagne chaque véhicule de sa naissance à sa sortie de la chaîne. De complexes systèmes hydrauliques manient les pièces les plus lourdes et des robots se chargent de tâches précises comme la soudure.
« Si Henry Ford pouvait voir cela, il serait très fier de nos employés et de la façon dont nous avons transformé le processus de production », juge David Torosian, le chef de l’usine.