Ces trentenaires qui n’ont plus envie de se lever pour bosser

Voici un excellent article publié sur Eco89 (Nolwenn Le Blevennec | Journaliste):

Ils ont des diplômes, un job, un bon salaire… mais s’ennuient à mourir, découvrant sur le tard les affres de la quête de soi.

Alexandre a un parcours plutôt classe : il est diplômé d’une grande école de commerce parisienne, après avoir effectué un parcours universitaire et scolaire à l’étranger. Son CV a de la gueule et c’est une mince consolation. Sa vie professionnelle l’ennuie terriblement (il n’en voit pas le bout)

Alors qu’il méprise la comptabilité, il a travaillé trois ans à la direction financière d’un groupe de luxe suisse. Il vient de quitter son poste, pour faire « à peu près la même chose » en France.

Alors que fin 2009, le taux de chômage des moins de 30 ans était de 17,3%, de nombreux trentenaires surdiplômés, qui ont décroché un contrat indéterminé, n’arrivent pas à s’en réjouir. Enfants gâtés ? Alexandre, 30 ans, n’a pas l’air d’être difficile. Pourtant, les postes qu’il occupe le lassent. Il a appris à tuer le temps :

« Je suis un forum américain depuis bientôt six ans, où les mecs balancent leurs videos Youtube. La sérendipité guide mes parcours wikipédiesques. »

Des bandes de potes s’envoient au moins cent mails par jour, articles ou vidéos « lol » (cet article fera peut-être l’objet d’un mail). Ils sont des Adrien Deume à l’heure du web, vivent d’eau fraîche et de procrastination, et ne travaillent qu’une fois au pied du mur. Diagnostic ? Ils se sont trompés de métier :

« Pendant mes études, j’ai suivi les modes, audit et banques, et ai mis du temps avant de me défaire de ce comportement panurgien. »

Le poids du diplôme, et les parents qui surinvestissent

Sandra Gaviria, sociologue de la jeunesse, explique que beaucoup de trentenaires, « quand même pas la majorité
», se sont laissé guider par « la contrainte économique », oubliant «
l’authenticité de soi ». Ils ont suivi, comme Alexandre, la route du CDI, sans se poser de questions :

« En France, il y a un poids du diplôme très important. Une pression
particulière. Et les parents surinvestissent souvent le parcours de
leur enfant. Il faut du courage pour aller contre eux. »

Lucie Davoie, psychologue du travail, évoque elle aussi « le poids des diplômes » et rappelle que Bourdieu décrivait déjà une noblesse d’Etat française qui puisait « la conviction
de sa légitimité dans le titre scolaire ».

Ici, la jeunesse est vécue comme un « placement », alors qu’elle est, pour les Danois, « une recherche de soi » avec option tâtonnements et faux pas, comme l’établissent notamment les travaux de Cécile Van de Velde.

L’ouverture d’esprit ou l’argent des parents peuvent en sauver certains. Alexandre :

« Mon ami Julien, lui, est prof de français au lycée. Il a eu la chance d’avoir des parents aisés et qui l’encourageaient à poursuivre sa voie. Chez moi, c’était “une vie comme papa, pour avoir le train de vie de papa”. »

Bac S, prépa, grandes écoles : la trilogie infernale

De nombreux jeunes Français soignent donc leurs CV, comme des nouveaux-nés. Il faut enchaîner Bac S, prépa, grandes écoles. Rafaël Vivier, fondateur de Wit-Associés, un cabinet de chasseurs de tête, voit tous les jours défiler des victimes de la trilogie infernale. Ils officient dans le conseil, le droit, l’audit, la gestion, le marketing ou la finance, et sont en quête de sens et de sensations.

« Certains se demandent pourquoi ils travaillent toute la journée, comme des acharnés, pour faire bouger un cours de Bourse de un euro dans la journée », dit Rafaël Vivier. Les futurs « néo-ruraux » veulent tout plaquer pour aller élever les moutons dans l’Eure, d’autres rêvent de devenir barman dans le Sud, confectionneuse de colliers et de sacs dans le Marais ou commissaire de police.

Alexandre, lui, aurait aimé être batteur, « parce que j’aime l’instrument, c’est tout. Et vivre comme artiste c’est quand même autre chose… ».

Ce syndrome « J’aurais voulu être un artiste » qu’on nommera « Plamondo » est très répandu chez ces trentenaires. Céline, directrice de clientèle dans la grande conso, 33 ans, « coincée entre le client et le créatif », « passe-plat inutile dans un secteur insensé », est devenue actrice. Cela lui a permis de « se rassembler », mais elle gagne très peu d’argent.

Enfin, il y a ceux qui veulent être « utiles ». Ils rêvent de bosser dans le paramédical, l’entrepreneuriat social et les ONG. C’est le cas de Marie qui a lâché son poste dans l’immobilier pour reprendre des études de psycho. Sur les bancs de la fac, elle s’est fait deux autres copines trentenaires, en reconversion elles aussi. Le chasseur de tête Rafaël Vivier :

« Depuis la crise, je trouve que les jeunes ont plus d’audace. Ils hésitent moins à se lancer. Mais, plus ils gagnent d’argent plus c’est dur de bouger. Entre la prime de 50 000 euros et l’épanouissement personnel, ils ont du mal à choisir. »

La plupart d’entre eux n’osent pas tout plaquer. Ils essaient de se « construire » en-dehors de leur boulot. Enchaînent les concerts, les livres et les dons aux associations caritatives.

Diplômée à bac+5, Claire emballe les cadeaux du patron

Parmi les trentenaires (ou quasi) qui ne se sont pas trompés de voie, l’insatisfaction prospère aussi. A 26 ans, Claire n’est pas complétement déprimée parce qu’elle a réussi à « mettre les deux pieds dans le cinéma », mais elle souffre de « surqualification » chronique.

Fière détentrice du master 2 en stratégie de la communication, « le cinquième de France », elle vient de démissionner d’un poste d’assistante de production ascendant secrétaire. Un jour, son patron lui a demandé d’aller acheter du papier cadeau et d’emballer un livre pour son frère : « Je l’ai fait. C’est la loi de l’offre et de la demande. Les bac+5 prennent le boulot des bac+3, etc. » (Claire aime le cinéma coréen et elle surpasse la plupart de ses supérieurs en cuture gé).

Aujourd’hui, l’assistante master 2 gagne à peine plus que le smic et la moitié part dans son loyer. Le job bien payé et épanouissant, « ce sera pour quand je serai grande », sourit-elle. Une réaction que connaît bien la sociologue Sandra Gaviria :

« C’est un autre motif d’insatisfaction : un quart des jeunes sont déclassés. Les jeunes sont désenchantés, parce qu’ils se rendent compte qu’ils gagneront moins que leurs parents, alors qu’ils ont fait de longues études. De nombreux jeunes actifs doivent vivre en coloc. »

En plus d’être mal payés, ils sont souvent infantilisés. Entrés tard sur le marché du travail tard, ils aimeraient être vite pris au sérieux. Des salariés comme les autres, or « on » les ramène constamment à leur condition de junior.

Des bêtes sensibles qui veulent des chefs doux et maternants

« Ah, pauvres jeunes, c’est terrible ce qui leur arrive », se dira peut-être le lecteur à ce point… « Je n’arrive pas à savoir si nous subissons beaucoup ou si nous ne supportons rien ? », se demande Claire.

Ces trentenaires sont en effet des petites bêtes très sensibles, qui ont tendance à ne rien supporter. Enfants de la génération Y, la moindre contrariété les mine. Ils ne supportent pas bien les ordres et veulent des chefs doux et maternants.

Sandra Gaviria trouve aussi qu’ils ont tendance à se plaindre avec emphase :

« Ils ont conscience de leurs difficultés et n’arrête pas de l’exprimer. Ils se sentent autorisés à se plaindre, ce qui est bien, mais cela a des limites. Le pessimisme va loin. »

Car ce n’est ni la première génération, ni la dernière à être désabusée par le marché du travail. La solution intemporelle à la déprime professionnelle : tomber amoureux, comme l’exprime le héros d’« Un monde sans pitié », d’Eric Rochant, dans le générique du film.

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